L’Atelier rose : le célèbre tableau, première peinture d’Henri Matisse.

Publié le : 07 octobre 202023 mins de lecture

C’est en 1911 qu’Henri Matisse a peint « L’étude rose ». Il s’agit d’une huile sur toile, mesurant 179,5 x 221 centimètres. Actuellement, cette œuvre d’art est conservée à Moscou, au musée Pouchkine. En fait, ce tissu témoigne la passion de l’artiste pour l’Orient. C’est une sorte de révélation de l’art oriental, de type cherlock holmes. Elle remonte aux alentours de 1910. L’année où Matisse est allé voir la grande exposition d’art « mahométan » à Munich. Après cette expérience, il a commencé à voir dans sa peinture l’élément qui remonte à la culture visuelle islamique, l’imbrication des motifs ornementaux.

Ainsi naît de nombreuses oeuvres comme « Lo studio rosa », « La famiglia del pittore », « Interno con melanzane », « Lo studio rosso », tous des tableaux réalisés en 1911. « Je ne peins pas les choses, mais seulement les relations qui les relient », a déclaré le peintre français.

L’histoire du peintre français : auteur principal de l’étude de rose

Premier maître et premières œuvres unanimement considéré comme l’un des plus grands artistes du XXe siècle, l’auteur de l’étude de rose échappe à toute classification. Henri Matisse est, comme Braque et Derain, l’un des promoteurs du fauvisme. Mais, à partir de cette révolte de la couleur, son art « l’étude rose » est une réflexion sur la ligne, sur l’équilibre, sur la synthèse des formes.

Fils d’un marchand de grains du Cateau, Matisse commence des études juridiques. Il passe sa capacité en droit à Paris (1888). Ensuite, il entre comme clerc chez un avoué de Saint-Quentin (1889). Il y reste immobilisé, pendant un an, par les complications d’une appendicite. Et c’est là qu’il découvre le plaisir de peindre. Sa mère, aquarelliste amateur, lui a offert une boîte de peinture. Guidé par la lecture d’un traité de Frédéric Goupil, le jeune homme s’amuse à copier des chromos.

Son premier tableau, « Nature morte avec des livres », est daté de juin 1890. Ce produit se trouve dans le musée Matisse, à Nice. Ainsi, l’auteur de l’étude rose a trouvé sa vocation et, délaissant le droit. Il s’inscrit auprès du bureau de l’académie Julian pour préparer l’examen d’entrée à l’École nationale supérieure des beaux-arts. Dispensé de celui-ci, grâce à l’intervention de Gustave Moreau, dans l’atelier duquel il travaille à partir de 1892. Il gardera, toujours, une profonde reconnaissance à ce maître, dont l’enseignement éveille les talents sans les contraindre. Rouault, Charles Camoin (1879-1965), Henri Evenepoel (1872-1899), Henri Manguin (1874-1949) sont élèves de cet atelier et bientôt aussi Marquet. Matisse a rencontré, ce dernier, aux cours du soir de l’École des arts décoratifs.

Ces années d’études montrent de sages recherches telles que : des copies au Louvre (Fragonard, Delacroix, Chardin surtout), paysages exécutés en plein air en compagnie de Marquet et tableaux d’atelier acceptés au Salon de la Société nationale des beaux-arts. Là où l’État achète, en 1896, la Liseuse pour le château de Rambouillet, aujourd’hui musée d’Art moderne, Troyes. Mais, à partir de cette date commence la révélation de l’impressionnisme comme : son rencontre avec l’artiste John Russell, ami de Claude Monet, à Belle-Île entre 1858-1931 ; découverte du legs Caillebotte au musée du Luxembourg, en 1897 ; et l’émerveillement de la lumière méridionale, pendant son séjour en Corse, puis à Toulouse, d’où est originaire sa jeune épouse, Noémie Parayre. Tous ceux-ci orientent l’art de Matisse vers de nouveaux intérêts. Celui-ci quitte les Beaux-Arts après que le très académique Fernand Cormon eut remplacé Moreau (?-1898). Ensuite, il fréquente l’académie Carrière, où il se lie avec Derain. Ce dernier lui présentera Vlaminck. En 1899, l’achat des Trois Baigneuses de Cézanne : Celui d’une Tête de garçon de Gauguin, d’un dessin de Van et Gogh, ceux qui révèlent ses dilections. Il les léguera, en 1936, à la Ville de Paris. Dans quelques toiles, tel l’Homme nu (1900 collection Pierre Matisse, New York), Matisse semble s’orienter, comme Rouault, vers un expressionnisme. Issu des études préparatoires de Moreau, ils ont traitées, au Couteau, en grands plans. D’autre part, il a découvert, chez son maître, une orgie de couleurs (Pasiphaé, aquarelle, musée Gustave Moreau). A son tour, il les organisera selon ses dons personnels. En voyant le produit de ses œuvres, Moreau avait prédit que l’auteur de l’étude rose va simplifier la peinture.

Cependant, avant d’être vraiment lui-même, l’inventeur de l’étude rose a encore une étape à franchir. Depuis 1901, il expose au Salon des indépendants. Présidé par Paul Signac, il a médité le texte paru, en 1899, dans la Revue blanche et consacré au néo-impressionnisme. Il a été accompagné d’Henri Edmond Cross (1856-1910), à Saint-Tropez, en 1904. Retrouvant cet artiste, il expérimente le pointillisme. L’œuvre majeure de cette période est particulièrement : Luxe, calme et volupté. C’est une collection privée, exposée au Salon des indépendants de 1905, où se tiennent des rétrospectives Seurat et Van Gogh. La révélation du génie, transcendant un système chez l’un et niant toute contrainte chez l’autre. Elle est complétée, au cours de l’été, par celle des Gauguin de Tahiti, appartenant à Daniel de Monfreid (1856-1929). Auquel, Matisse et Derain rendent visite pendant leurs vacances à Collioure.

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Le créateur de l’étude rose : un des chefs de file du fauvisme

Assimilant toutes ces influences, le peintre s’éloigne du divisionnisme : la touche s’élargit, les tons s’intensifient, la ligne s’assouplit. Cette évolution aboutit aux violences colorées de la Femme au chapeau. Celle qui est dans la collection privee de 1905, et la Joie de vivre dans fondation Barnes, Merion, aux États-Unis.

Cependant, les outrances élémentaires du fauvisme n’ont qu’un temps pour l’inventeur de l’étude rose. Ses épousailles, avec la couleur, s’accompagnent bientôt d’une volonté essentielle d’organisation des tons dans l’espace. « Je cherche des forces, un équilibre de forces », note-t-il à propos de la Desserte rouge du 1908. Celle qui est conservé dans le musée de l’Ermitage Saint-Pétersbourg. Là où se trouvent réunis tous les sortilèges de l’arabesque. Celui qui sera l’une des clefs de son art.

Contrairement aux impressionnistes, le concepteur de l’étude rose, comme d’ailleurs les autres fauves, est très vite accepté par des galeries telles que : Berthe Weill, 1902 ; Druet, 1903 ; Ambroise Vollard, 1904 ; Bernheim-Jeune, 1910. En 1908, Paul Cassirer à Berlin, Alfred Stieglitz à New York lui consacrent des expositions. Sa gloire est rapidement internationale. Parmi ses premiers amateurs, certains sont français, comme Marcel Sembat et Paul Jamot, d’autres américains, comme les Stein, acquéreurs en 1905 de la Femme au chapeau. Sarah Stein, aidée du peintre Hans Purrmann, subit, depuis son arrivée à Paris, l’ascendant de Matisse. Elle incite celui-ci à fonder une école. Là où, de 1907 à 1911, il forme de brillants élèves étrangers : le Norvégien Per Krohg (1889-1965) le Suédois Nils Dardel (1888-1943). À partir de 1908, le marchand russe Sergueï Ivanovitch Chtchoukine achète à Matisse trente-quatre toiles, parmi lesquelles : les panneaux de la Danse et de la Musique de 1909-1910, à l’Ermitage, dont il va sur place, en 1911, surveiller l’installation.

Informations sur les voyages, rencontres et expériences de Matisse

Les voyages comme : en Allemagne, Italie, Maroc, Russie, États-Unis, etc., apportent à l’homme « l’inventeur de l’étude rose » un enrichissement visuel, toujours renouvelé. C’est tout un épisode, depuis le séjour à Biskra, en 1906, jusqu’au à Tahiti 1930. A Biskra, le souvenir est à l’origine du plus expressionniste de ses tableaux, toujours, représentant ses intérêts sur les études des roses. Comme le Nu bleu, 1907, exposé au musée d’Art de Baltimore, par exemple. tandis qu’en Tahiti, il transmutera les impressions, dans la Danse de la fondation Barnes à Merion. La révélation lui est, toujours, venue de l’Orient. Ce goût, qu’avait éveillé, en 1903. L’exposition d’art musulman, au pavillon de Marsan, à Paris, se rayonne dans les « Odalisques », de 1921 à 1927. Mais, auparavant, le cubisme, dont le nom est né de l’une de ses boutades, effleure l’art de Matisse. L’œuvre qui s’est réformé, se trouve au début de la guerre à Collioure, où séjourne également Juan Gris (1887-1927). Le portrait d’Yvonne Landsberg (1914, musée d’Art de Philadelphie) illustre cette volonté de tons neutres et de géométrie. Mais les formes inscrites dans des schémas ovoïdes s’apparentent aux lignes des statues africaines, objets d’intérêt pour Matisse depuis 1906.

À partir de 1917, l’artiste de l’étude rose passe l’hiver à Nice. Se préoccupant, quelque temps de recherches plus abstraites, sur l’espace et la musicalité : la Leçon de piano (1916 ou 1917, musée d’Art moderne, de New York) semble ainsi éterniser le tempo d’un « moderato cantabile ». Après la guerre, son style montre une détente. Un retour aux délices ornementaux, auxquels, ses conversations avec Renoir, en 1918, ne sont pas étrangères. Peintures d’intimité où l’éclat des fleurs comme les roses et des fruits concurrence celui des chairs féminines. Les diverses Odalisques doivent beaucoup aux aquarelles des Femmes d’Alger. Car Delacroix, de même qu’Ingres, est l’un des maîtres, auxquels, Matisse aime se référer. La Légion d’honneur en 1925, le prix Carnegie en 1927 consacrent le succès du peintre, auteur de l’étude rose. Celui-ci revient à plus de rigueur, par l’intermédiaire des découpages coloriés. Ceux qui lui servent à la préparation des grands panneaux de la Danse (1931-1933), commandés par le Dr Barnes. La sobriété s’accentue dans le Nu rose (1935, musée d’Art de Baltimore). Un incessant souci de l’interpénétration sans modelé des figures dans l’espace, du jeu sans épaisseur des couleurs et du contour aboutit aux différentes versions de la Robe rayée et de la Blouse roumaine.

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Informations sur l’écrits et dernières inventions

Malgré la guerre, la vieillesse, la maladie, le sens de l’invention plastique demeure intact chez l’auteur de l’étude rose. Il s’inspire des courbes d’un fauteuil rocaille. Celui qui renoue, dans les grands Intérieurs de 1946-1948, avec les paroxysmes colorés du fauvisme. Il cherche la symbiose de tous les arts dans l’ensemble décoratif de la chapelle du Rosaire des Dominicaines à Vence (1951). C’est, toutefois, à travers les grandes gouaches découpées, follement évocatrices de la danse ou du repos de la femme, de l’arbre ou de la fleur rose que Matisse atteint à la fin de sa vie « encore plus d’abstraction, encore plus d’unité ».

Les mêmes préoccupations apparaissent dans ses sculptures. Soixante-dix bronzes environ qui, eux, toutefois, s’attaquent de front aux problèmes de l’expression volumétrique, ainsi avec la série des bustes de Jeannette, 1910-1913. De même, dans ses dessins et ses gravures fort nombreux, ses illustrations de livres : dix-sept en tout, parmi lesquelles, les Poésies de Mallarmé (1932), les Lettres de la religieuse portugaise (1946) et le texte intitulé Jazz. Ses œuvres, accentués sur les études roses, sont magistralement accompagné de papiers découpés (1947). Outre les réflexions incluses dans ce dernier album, l’inventeur de l’étude rose a donné différents textes. Ceux qui sont repris dans le recueil Écrits et propos sur l’art édité en 1972.

Tout au long de sa carrière, les mêmes thèmes s’imposent : fenêtres ouvertes, femmes indolentes, univers de paresse totalement antithétique de son créateur et, avant tout, prétexte à la prospection du champ artistique. « Le travail guérit de tout » disait l’auteur de l’étude rose. L’œuvre du peintre, d’une apparente simplicité, « ce fruit de lumière éclatante » aimé d’Apollinaire, naît d’un labeur acharné. Celui qui cherche, toujours, à témoigner de l’indicible sensation dont l’un de ses derniers tableaux porte le titre : le Silence habité des maisons.

L’Atelier rose

L’Atelier rose est un tableau réalisé par le peintre français Henri Matisse, au printemps 1911. Cette huile sur toile représente l’intérieur du bureau : l’atelier de l’artiste, à Issy-les-Moulineaux. Première peinture, des Intérieurs symphoniques, exécutée pour le collectionneur russe Sergueï Chtchoukine. Elle est, aujourd’hui conservée, au musée des beaux-arts Pouchkine, à Moscou.

Au fond de l’atelier rose se reconnaissent d’autres œuvres de l’artiste, notamment, la sculpture. Tout produit dans les études roses. La Serpentine, un tableau de la série Le Luxe, série à laquelle appartiennent Le Luxe I et Le Luxe II, ou encore le Nu rose à l’écharpe blanche.

L’étude rose : analyse de la situation

Le tableau représente une symphonie de couleurs : les roses. Là où le rose prédomine et occupe presque tout l’espace intérieur. La couleur ocre contraste avec le rose du sol et correspond aux tons de la toile accrochée à l’écran. L’atelier, représenté par Matisse, évoque une sorte de prison dorée du peintre.

Dans l’œuvre apparaît une fenêtre. A travers laquelle, il semble que Matisse ait voulu jeter un regard sur le passé impressionniste. Tout autour se trouve des ornements sinueux, avec des bustes déshabillés dans la pièce. C’est à travers son environnement de travail que l’artiste transforme la peinture en une métaphore de son existence. « Je suis trop dans ce que je fais. Je ne peux pas m’en sortir, il n’y a rien d’autre pour moi », écrit le peintre à Marcelle Marquet le 25 octobre 1941.

Dans la toile qui reproduit son atelier, Matisse peint les tableaux sur les murs. Parmi lesquels, il y a le « Luxe » et une série de nus roses. L’un est en train d’être travaillé sur le chevalet. En bref, des tableaux dans les tableaux ; puis il y a les céramiques, les tableaux, le tapis.

La recherche de Matisse se concentre sur la simplification des lignes de contour et l’accent mis sur les formes du corps féminin. L’artiste est destiné à marquer un tournant dans l’art contemporain. C’est un talent du XXe siècle. Celui qui concentre sa recherche artistique sur l’analyse de la figure. Il a, lui-même, révélé en 1908 que « ce qui m’intéresse le plus n’est pas la nature morte, ni le paysage, mais la figure. La figure me permet, bien plus que d’autres thèmes, d’exprimer le sentiment, disons religieux, que j’ai sur la vie ».

On se souvient que Matisse était le plus important représentant d’un groupe de peintres, actif au début du XXe siècle, surnommé « Fauves », ou bêtes. Leurs œuvres sont dotées d’une forte charge expressive : ce n’est pas un véritable courant artistique, mais une tendance picturale. Là où la couleur rose est le véritable protagoniste, expression du subjectivisme de l’artiste.

Matisse était un élève du maître symboliste Gustave Moreau. Ce dernier voyait en lui l’homme idéal pour moderniser la peinture. L’artiste a réussi à libérer sa peinture de l’impressionnisme. Au fil des ans, dans ses écrits et ses interviews, le peintre français a donné ses avis : « Pour moi, un tableau doit toujours être décoratif », « l’expression et la décoration ne font qu’un, puisque le second terme est condensé dans le premier », « il faut d’abord être décoratif ».

Matisse travaille par synthèse, puis par multiplication des motifs ornementaux. Son activité de peintre s’est déroulée, pendant des décennies, dans le calme de l’environnement familial, loin de la vie mondaine. Pour l’artiste, en fait, l’art devait être un « agent cérébral calmant ». Pour l’auteur de l’étude rose, la peinture est un véritable amusement, s’abandonnant au jeu des forces de la couleur et du dessin.

Théorie de l’art selon Matisse, dans Le musée Matisse du Cateau-Cambrésis et de Nice.

Matisse, s’il n’apparaît pas directement comme tel, est un théoricien de l’art. Celui qui a laissé par ses interviews et ses différents textes, les explications de son art « inspiré de la nature », mais travaillé par la mémoire et les perceptions. C’est dans Jazz, en particulier, qu’il rejette toute distinction entre art abstrait et figuratif. Tout au long de sa carrière, il a laissé des textes tels que : Notes d’un peintre, des interviews, jusqu’à Jazz. Ce que l’on peut lire dans Écrits et propos sur l’art, qui donnent le sentiment d’un classicisme revisité.

« Mon dessin au trait est la traduction directe et la plus pure de mon émotion. La simplification du moyen permet cela.

Louis Aragon, dans Henri Matisse, livre de roman, note comment l’artiste lui explique l’utilisation des signes. Ceux qui fondent son dessin, par exemple, les : « signe-œil « , « signe-arbre », « signe 3-bouche », « signe fleurs », « signe main-fleurs ». Ainsi, l’épuration de son dessin doit atteindre au hiéroglyphe comme : le 3 devenant bouche, ou l’arbre désigné par quelques feuilles comme « un signe chinois ». Celui qui signifie l’homme, l’oiseau ou même la bouche.

Pour Matisse, l’importance d’un peintre se mesure à la quantité de nouveaux signes. Le signe qu’il aura introduit dans le langage plastique.

Le sinologue François Cheng a remarqué la parenté des remarques et assertions de Matisse avec les traités taoïstes de peinture chinoise. Connus en France depuis le XVIIIe siècle, d’un côté, ces traités vont bien, au-delà de la simple citation visuelle d’un vase Quing ou d’une calligraphie, par la recherche d’une intériorité spirituelle de la peinture.

D’un autre côté, Matisse était très attentif aux évolutions techniques, au métier de peintre et aux différentes théories scientifiques des couleurs, surtout les roses, et à leurs effets de perception. Mais, le choix de ses couleurs ne repose sur aucune théorie scientifique. Il est basé sur l’observation, le sentiment et sur l’expérience de sa sensibilité. S’inspirant de certaines pages de Delacroix, un artiste comme Signac se préoccupe des complémentaires, et leur connaissance théorique le porte à employer ici ou là, tel ou tel ton. Pour lui, il cherche, simplement, à poser des couleurs qui rendent sa sensation. Il y a une proportion nécessaire des tons qui lui aident à modifier la forme d’une figure ou à transformer sa composition. Tant qu’il ne l’a pas obtenu, pour toutes les parties, il la cherche et poursuis son travail. Puis il arrive un moment où toutes les parties ont trouvé leurs rapports définitifs et dès lors, il lui serait impossible de rien retoucher à son tableau, sans le refaire entièrement.

En réalité, il estime que la théorie des complémentaires n’est pas absolue. En étudiant les tableaux de peintres, dont la connaissance des couleurs repose sur l’instinct et le sentiment, sur une analogie constante de leurs sensations. On pourrait préciser, sur certains points, les lois de la couleur, recaler les bornes de la théorie de la couleur, telle qu’elle est actuellement admise.

Cependant, Matisse considérait toujours que ce qu’il poursuit, par-dessus tout, c’est l’expression. Quelquefois, on lui a concédé une certaine science, tout en déclarant que son ambition était bornée et n’allait pas au-delà de la satisfaction d’ordre purement visuel. Celui qui peut procurer la vue d’un tableau. Mais la pensée d’un peintre ne doit pas être considérée en dehors de ses moyens. Car elle ne vaut qu’autant qu’elle est servie par des moyens. Ceux qui doivent être d’autant plus complets. Et, par complets, il n’entend pas compliqués. Parce que sa pensée est plus profonde. Il ne peut pas distinguer entre le sentiment qu’il a de la vie et la façon dont il le traduit.

En 1948, dans une lettre à son ami Henry Clifford, il fait le point sur sa démarche. Dans cette lettre, il affirme qu’il a toujours essayé de dissimuler ses efforts. Il a souhaité que ses œuvres aient la légèreté et la gaieté du printemps. L’image qui ne laisse jamais soupçonner le travail qu’il a coûté. Comme s’il craint que les jeunes, en ne voyant que l’apparente facilité et les négligences du dessin, se servent de cela comme d’une excuse pour se dispenser de certains efforts que l’auteur juge nécessaires. […] Ce lent et pénible travail est indispensable. En vérité, si les jardins n’étaient pas bêchés à l’époque voulue, ils ne seraient bientôt plus bons à rien. N’avons-nous pas d’abord à nettoyer puis à cultiver le sol à chaque saison de l’année ? […] Ce n’est qu’après des années de préparation que le jeune artiste a le droit de toucher aux couleurs. Pas aux couleurs, en tant que moyen de description, mais en tant que moyen d’expression intime. Alors il peut espérer que toutes les images et même tous les symboles qu’il emploie puissent être le reflet de son amour pour les choses. Un reflet, dans lequel, il peut avoir confiance. pour voir s’il a été capable d’accomplir, jusqu’au bout, son éducation avec pureté et sans se mentir à lui-même. Alors il emploiera les couleurs avec discernement. Il les posera, en accord, avec un dessin naturel, informulé et totalement conçu. Celui qui jaillira directement de sa sensation. Ce qui permettait à Toulouse-Lautrec, à la fin de sa vie, de s’exclamer : « Enfin, je ne sais plus dessiner ».  […] Le peintre débutant pense qu’il peint avec son cœur. L’artiste qui a terminé son développement pense aussi qu’il peint avec son cœur. Seulement ce dernier a raison parce que son entraînement et la discipline qu’il s’est imposée lui permettent d’accepter les impulsions. […] Il dit que son but n’est pas d’enseigner. […] Il voudrait que les gens sachent qu’il ne faut pas approcher de la couleur comme on entre dans un moulin. En fait, pour lui il faut une sévère préparation pour être digne d’elle. Mais avant tout, il faut posséder le don de la couleur comme un chanteur doit posséder la voix. Sans ce don, on ne peut aller nulle part et tout le monde ne peut pas dire comme le Corrège : « Moi aussi, je suis un peintre. Un coloriste marque de son empreinte même un simple dessin au fusain. […] Je m’aperçois que, obéissant à une nécessité intérieure, j’en ai fait l’expression de ce que je ressens à propos du dessin et de la couleur et de l’importance d’une discipline dans l’éducation d’un artiste ».

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